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Histoire Géographie, Géopolitique du Monde Contemporain
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24 janvier 2018

TR n°8: LA RUSSIE, PUISSANCE SECONDE D’INFLUENCE ?

LA RUSSIE, PUISSANCE SECONDE D’INFLUENCE ?

L'URSS d'hier nous a habitués à la pratique du hard power… La Russie d'aujourd'hui, au-delà des démonstrations de force (Géorgie, Crimée), s'initie aux vertus des nouveaux pouvoirs. Pouvoir de convaincre plus que de vaincre. Agence d'informations plus que VPK. Dans les deux cas, un même dessein : restaurer les valeurs impériales de la Russie.

Le soft power russe : une construction méthodique
 

Un projet

Il s'articule autour du nationalisme grand- russe, c'est-à-dire le rassemblement des populations russes et russophones dans la Fédération de Russie. Le but ? Réactiver un projet impérial et éviter à tout prix d'être un État isolé.
On ne vit pas une deuxième guerre froide comme on le dit à tort mais l'affrontement entre des impérialismes territoriaux et de " grands desseins " comme à la fin du xixe siècle…

Une méthode

Poutine menace en permanence de réviser les frontières en jouant sur le droit international (le moins possible) ou le droit historique (le plus souvent) et l'un contre l'autre (toujours). C'est une réécriture de l'histoire ou une nouvelle convocation de l'histoire à laquelle se livrent les dirigeants russes. L'URSS d'hier n'a jamais été aussi grande que dans la lutte contre le fascisme. Il est donc facile pour la propagande officielle d'assimiler l'évolution actuelle de Kiev, dans une Ukraine qui fut un champ de bataille où des peuples opprimés ont rejoint l'occupant allemand (Tatars de Crimée), à un putsch de nationalistes nostalgiques.
La mise au pas des médias fait partie de l'arsenal mobilisé avec la dissolution de la principale agence de presse officielle, RIA Novosti (1941), remplacée par un nouvel organisme, Rossia Segodnia (" La Russie d'aujourd'hui "). À sa tête, le chroniqueur Dmitri Kisselev, connu pour ses positions conservatrices anti-opposition, anti-américaines et anti-gays, est chargé de promouvoir l'image de la Russie à l'étranger.
La pression sur le patriarcat de Moscou pour museler toute émancipation de celui de Kiev permet de rallier l'Église orthodoxe au projet.
Les " maisons de la Russie " (Russkyi mir, l'Ukraine est d'ailleurs celle qui en compte le plus : 9) sont bâties pour entretenir la langue russe. Non seulement celle des Ruski (Russes dont la langue maternelle est le russe), mais aussi des Rossiiskii, ces citoyens de la Fédération de Russie, composés de 20 % de non Russes (au sens ethnique du terme).

Des menaces

Faire de " la fin de l'ex-URSS la plus grande catastrophe géostratégique du xxe siècle " (discours du 25/04/2005 devant l'Assemblée fédérale russe) est un habile détour pour marteler le caractère artificiel de l'État ukrainien et de l'accord signé par Boris Eltsine en 1991, qui monnayait la Crimée contre le désarmement nucléaire de l'Ukraine (600 têtes nucléaires), ou pour intervenir en Ossétie du Sud (2008).
Parler constamment de " l'ingérence occidentale " depuis la Géorgie en 2008, et des appels à intégrer l'OTAN ou l'UE est une façon de se poser en défenseur de l'intégrité de l'étranger proche, mais surtout de riposter à l'atlantisme de Bruxelles en proposant une alternative crédible à l'union eurasiatique — dans un premier temps, une zone d'intégration économique, puis dans un second temps une sorte d'ALENA, un espace économique commun regroupant l'Europe et l'ex-URSS en lieu et place d'accords plus ou moins denses conclus par l'UE avec les seuls États de l'ex-URSS de façon à isoler la Russie actuelle.
Utiliser le gaz, son prix et le verrou ukrainien énergétique (par lequel passent 30 % des approvisionnements allemands), c'est faire peser sur l'Occident la menace de pénuries en guise de contreparties hasardeuses aux sanctions un instant envisagées contre Moscou.
Tracer une ligne jaune, celle qui a été franchie au moment de l'indépendance du Kosovo et que les Russes ont ressentie comme une provocation.

L'influence russe : limitée ?

Les limites sont celles de la communauté internationale. " La Russie a plus peur de perdre l'Ukraine que l'UE n'a d'envie de la conquérir. " Le message transmis au travers des sanctions de la Russie reste brouillé par des problèmes de calendrier, par une reculade devant le fait accompli, aggravée par des divisions entre UE, ONU et États-Unis. Comme en Syrie, Poutine a pu se jouer de ses opposants, relativement impuissants. La mascarade de l'accord tripartite du 17/04/2014, signé à Genève, permet de gagner du temps, de bloquer les ripostes antiterroristes de Kiev, et de faire passer l'annexion de la Crimée de pertes à profits. L'UE n'a pas été capable de se mobiliser pour participer à un partenariat oriental ouvert à six républiques soviétiques (Ukraine, Biélorussie, Géorgie, Arménie, Azerbaïd-jan), pourtant proposé par la Pologne et la Suède dès 2008 afin de réagir au refus de Moscou d'intégrer l'OTAN dans son étranger proche. Cette indécision a coûté cher.
Les limites sont celles de l'économie russe. La Russie ne pèse que 2,9 % du PIB mondial même si elle a contribué, de 2007 à 2011, à faire croître le PIB mondial de 2 %. L'instabilité géopolitique actuelle a précipité les sorties de capitaux (70 milliards de dollars en 3 mois en 2014, après 63 milliards en 2013), de quoi rappeler à la Russie les exigences de l'interdépendance depuis son adhésion à l'OMC en 2012 (ràle des agences de notation, sécurité des IDE après une moisson de 94 milliards de dollars en 2013) et rabaisser ses prétentions. L'UE peut se servir de la crise pour diversifier ses ressources énergétiques et, pourquoi pas, passer en force face au principe de précaution dans le gaz de schiste. De plus, la Russie doit voir ses horizons lointains obscurcis par un désastre démographique majeur avec des perspectives de 130 millions d'habitants en 2030 contre 148 millions en 1993, une espérance de vie très basse, même revalorisée à 65 ans, et une fécondité en coma profond.
Les limites sont aussi celles de la mobilisation des provinces orientales de l'Ukraine car, même russophones, ces territoires accueillent des oligarques et des entreprises inquiètes des évolutions du prix du gaz et de la corruption organisée par la famille Ianoukovitch. Il n'est pas certain que le processus de russification puisse prendre greffe dans un territoire traumatisé par les famines organisées par Staline de 1932 à 1934 lors de la guerre contre les koulaks.
Les limites sont celles de l'adhésion de la population russe au projet de Poutine. Le consensus repose sur la méfiance envers l'Occident après les humiliations des conflits balkaniques, sur le monologue des conservateurs poutinistes dans l'opinion publique (sondage du 23/02/2014 dans 130 agglomérations, cote d'amour à 68 % !), sur la confiance dans la défense qu'il incarne l'" identité culturelle russe ". Mais que peut peser cette adhésion au patriotisme de Poutine si le développement économique n'est pas au rendez-vous et si le pays ne retrouve pas le statut de superpuissance ? Il ne suffit pas que Forbes ait, en octobre 2013, classé Poutine sur la première marche du podium devant Obama et Xi Jinping pour plébisciter l'ancien lieutenant-colonel du KGB.

Quelle vision pour l'avenir ?

Le plus immédiat pour Poutine est de consolider ses bases stratégiques. Il n'a d'ailleurs pas hésité à faire un bras de fer pour conserver Sébastopol (l'accord conclu par Ianoukovitch en 2010 qui conciliait des facilités portuaires jusqu'en 2042 à la flotte russe n'est pas garanti par les nouvelles autorités de Kiev) et l'accès à la mer de Marmara, hautement stratégique pour une flotte russe qui veut se projeter en Méditerranée. Le Heartland ne peut se passer d'un sea power et de l'accès aux mers chaudes.
Le marché commun eurasiatique paraît certes limité au départ, la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine étant les États les plus développés de l'ex-URSS, à l'exception des pays baltes. Bien vite il devient lilliputien avec le refus de l'Ukraine qui, à partir de 2004, est tentée par l'aventure européenne. Même si en 2012 l'ensemble devient un espace économique commun avec la libre circulation des marchandises, des services et des hommes, et s'il est rejoint par l'Arménie, l'Eurasie ne suffit pas à meubler les rêves d'empire de la Russie. Mais l'Eurasie peut permettre de montrer que la Russie ne veut pas établir un nouveau rideau de fer en Europe, ou reconstruire pas à pas l'ex-CEI, et souhaite faire face à la Chine, de plus en plus impliquée dans le grand jeu d'Asie centrale avec l'Inde.
De là la nécessité pour la Russie de renforcer ses liens avec l'OCS (Organisation de coopération de Shanghai), de s'affirmer comme un BRICS aux càtés des autres qui l'ont assurée de leur soutien lorsqu'elle a été écartée du G8 de La Haye, et ont obtenu qu'elle soit invitée au G20 de Brisbane en novembre 2014. Mais la Russie n'oublie pas qu'elle est européenne (10 villes russes sont desservies par des vols directs en provenance de l'UE avec laquelle la Russie fait plus de la moitié de ses échanges).
Le pouvoir de conviction russe, plus que celui de coercition, doit être amendé en renforçant les réseaux internet, les relations amicales de la Russie : les centres culturels russes (84 centres dans
42 pays, dont 7 en Chine), les manifestations qui authentifient une légitimité internationale (JO de Sotchi pleinement réussis à cet effet, avant la Coupe du monde de football en 2018). Mais Poutine est encore loin de pouvoir construire un ordre européen et international conforme aux normes du xxie siècle. " Une des choses avec lesquelles il faut le plus souvent compter chez les nations comme chez les individus c'est l'amour- propre. Un pays se résigne mal à se voir dans un état d'infériorité réelle ou apparente vis-à-vis de ses voisins et cela lui répugne d'autant plus qu'il se sent plus grand et plus fort d'ailleurs : telle est aujourd'hui la situation des Russes ", écrivait Anatole Leroy-Beaulieu (ancien directeur de Sciences Po, grand voyageur, esprit éclairé, tolérant et visionnaire) en 1889…

 

 
Écrit pour Espace Prépas par: 
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