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24 janvier 2018

TR n°10: Podemos et la montée du populisme en Espagne

Podemos et la montée du populisme en Espagne

Désigné mot de l’année 2016 par la fondation BBVA, le mot populismo qualifie un nationalisme catalan de plus en plus virulent, mais il n’en reste pas moins applicable à une autre manifestation du populisme, incarnée par Podemos notamment dans le rôle qu’il a tenu pendant cette dernière année, fort chaotique sur le plan politique, en Espagne.

Les visages de circonstances de Pablo Iglesias, Íñigo Errejón et Alberto Garzón (IU) le 26 juin 2016 au soir des secondes élections générales en six mois, montraient clairement leur déception de voir l’échec de leur stratégie d’union et de ne pas obtenir ce sorpasso tellement espéré et annoncé. Comment ce parti, que les sondages donnaient nettement deuxième, et donc en position de trouver les alliances afin de gouverner, n’a-t-il pas su capitaliser sur ses alliances et conquérir la Moncloa1 ? Ce 26 juin a-t-il révélé au grand jour les dissensions internes compromettant l’avenir de ce parti, dont l’ascension fulgurante n’a d’égale que les polémiques qu’il suscite ? Pourquoi la vague populiste qui menace l’Europe ne s’est-elle pas concrétisée en Espagne ?
Le bipartisme postfranquiste, souvent décrié, était le garant des stabilité politique et institutionnelle, mais surtout préservait le pays des partis populistes, exception faite des nationalismes régionaux. Telle était la situation jusqu’à l’apparition de ce « nouveau » parti, issu du mouvement des Indignés qui exprimaient leur mécontentement au sujet de la crise, des « politiciens liés à la finance » mais surtout réclamaient une « ¡Democracia real YA ! », à savoir un changement de système profond. La crise de 2008 offrait donc un « moment populiste », ainsi qualifié par les conseillers de Podemos.

Un succès fulgurant et un parti prometteur…

La création de Podemos le 17 janvier 2014 et son irruption sur la scène politique avec ses cinq sièges de députés obtenus aux élections européennes, comptabilisant 1,2 million d’électeurs ne peut s’expliquer que par son caractère novateur, mais aussi un discours qui rompt tous les schémas préétablis alors même qu’aucun programme n’avait encore été publié. S’appuyant sur une critique féroce des « castes », dénonçant violemment la corruption, son leader charismatique, Pablo Iglesias, professeur en sciences politiques à l’université Complutense de Madrid, parcourt les plateaux de télévision, débat, attaque sur un ton incisif tous les représentants de la « vieille politique », promet que ses eurodéputés ne percevront que trois fois le salaire minimum espagnol (soit environ 2 000 € au lieu des 8 000 prévus par l’UE)2 et qu’ils refuseront les défraiements pour résidence. Et pourtant, ce discours simplificateur voire « simpliste » prônant l’antagonisme des « gens purs » contre « l’élite corrompue », suivant la définition du populisme de Cas Mudde, porte ses fruits immédiatement. Fort de son entrée au Parlement européen et son intégration dans le groupe de la Gauche unitaire européenne, Pablo Iglesias présente sa candidature à la présidence du Parlement en prononçant un discours aux teintes eurosceptiques3 où il dénonce « la dérive autoritaire de la troïka » ainsi que la soumission des États à la finance : « L’expropriation de la souveraineté et la soumission au gouvernement des élites financières menacent le présent et le futur de l’Europe4. »
À l’instar de la fondation BBVA, le dictionnaire britannique Oxford désigne, lui, post-truth comme mot de l’année, le définissant comme « des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles ». Et c’est bien de cet appel aux émotions dont Podemos se prévaut pour continuer son ascension. Loin d’être un néophyte en la matière, son statut de professeur d’université et chercheur confère à Pablo Iglesias une solide connaissance des stratégies politiques et une parfaite maîtrise des réseaux sociaux. Il exerce son talent oratoire dans les émissions diffusées sur Internet5 où son look particulier et ses diatribes enflammées – à l’arrière-goût de populisme latino-américain – contre le bipartisme et les élites font de lui un personnage médiatique incontournable.
Après le Parlement européen et en s’inspirant de la victoire d’Alexis Tsipras et de Syriza en Grèce, Pablo Iglesias part à la conquête de la Moncloa, son objectif ultime. Pour cela, en fin stratège, il ne souhaite pas galvauder son capital « confiance » lors des élections municipales et autonomiques (régionales) du 24 mai 2015, mais surtout, il ne veut pas se risquer à faire juger le programme de son parti trop hâtivement. Aussi, Podemos ne présente pas de liste seul mais finit, poussé par ses bases, à former ou intégrer des coalitions avec des partis écologistes, de gauche radicale ou d’assemblées citoyennes selon le lieu et le moment6. Les résultats sont sans conteste à Barcelone qui passe sous la bannière violette. L’activiste Ada Colau, ex-porte-parole de la PAH7 est donc élue maire de la 2e ville d’Espagne. Ailleurs, le jeu des alliances, inhérent à la proportionnelle, favorisera l’élection tantôt de maires PSOE tantôt de maires proches de Podemos. Ce sont ces mêmes tractations qui permettent à la liste Ahora Madrid – pourtant arrivée 2e derrière le PP mais appuyée par le PSOE – de prendre la direction de la capitale avec Manuela Carmena, ancienne juge, à sa tête.

Un bilan mitigé

Un an après leur élection dans leurs villes respectives, les mesures prises – sous-tendues d’idéologie – sont émaillées de polémiques. Ainsi à Barcelone, Ada Colau se revendique antimonarchique, fait retirer dans la salle du conseil le buste de Juan Carlos, arguant du fait qu’il n’est plus le chef de l’État, mais refuse de le remplacer par le portrait du roi Felipe VI comme la constitution le prévoit, débaptise consciencieusement chaque place ou rue de la ville ayant une référence royale. Par ailleurs, elle se rapproche inexorablement des indépendantistes, paralyse la construction et les cessions hôtelières, refuse la présence de l’armée lors des fora éducatifs, tend ses relations avec la Guardia Urbana avant de finir par reconnaître son « utilité » au terme d’une année conflictuelle, n’hésite pas à s’entourer à des postes clés de son conjoint ou de ses compagnons d’armes à la PAH, n’aura finalement pas baissé son salaire de 1er édile comme promis. « Lorsque tu assumes des responsabilités, tu comprends la complexité de beaucoup de choses que tu ne comprenais pas avant », reconnait-elle sur une radio catalane. Toutefois, elle est un des premiers édiles espagnols à organiser l’accueil des migrants qui n’arriveront qu’avec parcimonie, dénonce à l’ONU l’inertie de l’Europe et invite à plus de coordination pour en favoriser l’accueil.
Si Manuela Carmena est vertement tancée par l’opinion publique sur une première Cabalgata de Reyes jugée trop laïque et décevante, sur l’ouverture de l’une des piscines de Madrid aux nudistes, sur l’état de saleté de la ville qu’elle ne parvient pas à régler après un rétropédalage sur la remunicipalisation du service, une tension avec les associations de Okupas8 qui attendaient plus d’indulgence de la part d’une municipalité « podémiste », son bilan est surtout celui d’une politique en faveur de la réduction de la dette de la capitale, déjà significative au terme de sa première année d’exercice, et prévoyant une baisse de 38,85 % d’ici fin 20179.
À Cadiz, José María González Santos, dit Kichi, se démarquera par son soutien au régime de Nicolas Maduro en refusant d’accueillir la traditionnelle remise du prix de la Liberté de la ville10, accordé en 2016 aux opposants emprisonnés au Venezuela.

Un programme aux accents populistes

Obéissant aux principes de la citoyenneté participative, lors de la première assemblée Sí se puede11, organisée à l’automne 2014, le parti a adopté les résolutions suivantes : une « restructuration ordonnée » de la dette ; un alourdissement des peines pour corruption ; la dépénalisation des délits pour occupation de logements vides… D’autres figures telles que Juan Carlos Monedero, Carolina Bescansa et Íñigo Errejón vont entourer Pablo Iglesias aux postes stratégiques. Tous ont un point commun, celui d’avoir été membres de la fondation CEPS12, fondation qui a offert ses conseils au gouvernement de Hugo Chavez au Venezuela.
Malgré un programme qui inclut « un sauvetage citoyen » en opposition au sauvetage bancaire de ces dernières années, la déprivatisation des services publics, voire des nationalisations d’entreprises si besoin, un accès général aux soins, « un revenu universel afin de sortir les gens de l’exclusion sociale », une politique économique alternative (reforme fiscale fondée sur la redistribution), malgré l‘intégration de l’économiste français Thomas Piketty, qui rejoint les conseillers officiels de Podemos en septembre 2015, malgré l’intégration du mouvement anticapitaliste, le parti refuse de se voir taxé de parti de gauche et cherche une transversalité plus fédératrice. Il revendique donc une « centralité14 » qui recoupe le clivage droite-gauche afin de rassembler, mais surtout pour ne pas laisser de place au parti centriste fraîchement promu dans les sondages : Ciudadanos, lequel menace d’occuper la place d’outsider. Miguel Urbán Crespo n’hésite donc pas à déclarer : « Podemos n’est ni de droite ni de gauche. »
Sur le plan national, Podemos s’inscrit dans le républicanisme et la fin de la monarchie. Le souhait exprimé par PI de modifier la fête nationale espagnole au 14 avril15 (ou 15 mai) n’est-il pas limpide ? La couleur violette choisie pour désigner le parti n’est pas non plus sans rappeler la 3e couleur du drapeau de la IIe République espagnole, couleur qui « manque » selon certains dirigeants…
La question des nationalismes régionaux est toutefois plus épineuse car source de divergences plus ou moins marquées. Nonobstant, la position officielle est le droit du peuple à l’autodétermination. En clair, permettre aux Catalans l’organisation d’un référendum (anticonstitutionnel à ce jour) afin de se prononcer sur leur indépendance.

Un rôle controversé après les élections du 20 décembre 2015

C’est dans ce contexte de revendication d’une centralité assez déconcertante que le parti se prépare à son grand défi des élections générales du 20 décembre 2015 (20-D). Pourtant déjà alarmé par un résultat décevant lors des comices autonomiques catalans le 27 septembre, où la coalition intégrant Podemos n’a obtenu qu’un très modeste 8,9 %, la stratégie – imputée au numéro 2 du parti, Íñigo Errejón – ne vacillera pas. Pablo Iglesias démissionne même de son poste de député européen pour se lancer à corps perdu dans cette conquête du sommet.
Le 20-D, Podemos, propulsé troisième force du pays, obtient 69 sièges de députés, une semi-victoire. S’il ne permet pas d’accéder aux hautes sphères, ce résultat met fin au bipartisme en vigueur depuis 1982, accorde au parti violet un poids qui permet de bloquer la formation de tout gouvernement et d’avoir une voix prépondérante dans les négociations.
Cependant, le message de Podemos se brouille. Après avoir fait campagne contre la corruption, accusant largement le PP d’être le parti corrompu par excellence, les électeurs peinent à comprendre les volte-face de Pablo Iglesias qui tour à tour se déclare prêt à tout pour éviter un gouvernement de droite, réclame la vice-présidence et les maroquins décisifs – sachant ses desiderata impossibles à satisfaire – en échange de son appui à un éventuel gouvernement de Pedro Sánchez (PSOE), mais refuse de négocier avec lui avant de l’attaquer violemment en pleine séance d’investiture, puis lui lance un message « d’amour », véritable baiser de Judas, du haut de sa tribune. Déstabilisant.
Cette brève législature, qui n’aura pas permis l’émergence d’une coalition pour constituer un gouvernement, est marquée par une série d’esclandres, de polémiques de la part des députés de Podemos, détournant l’attention de la chambre des véritables enjeux. La séance d’installation donne le la : arrivée massive des députés à bicyclette scandant le Sí se puede, refus d’utiliser le vestiaire, tenue qui rompt le protocole traditionnel, dispute pour l’occupation des sièges, baiser sur la bouche d’un élu à Pablo Iglesias… La députée Carolina Bescansa – responsable de la stratégie au sein de Podemos – peut même se targuer d’avoir détourné toute l’attention sur elle, amenant son bébé de six mois, lui donnant le sein, poussette dans les travées et qui passera de bras en bras selon les besoins, sous prétexte de montrer la difficulté des femmes mères à concilier travail et vie familiale. Qualifiée de « cirque médiatique », cette première séance, loin de paraître populaire, se teinte d’un mépris envers les institutions, que les Espagnols peinent à saisir.
Dans la lignée du code de conduite du parti, la quasi-totalité des élus de Podemos refuse également les commodités mises à disposition des députés : frais de taxi, Internet, téléphone…

Le semi-échec du 26 juin

À cette occasion, Pablo Iglesias change de stratégie : accusant à demi-mot l’idée de « centralité » d’avoir éloigné des électeurs indignés, le cap à gauche est mis pour ces deuxièmes élections générales organisées en l’espace de six mois. Aussi, reprenant une recette qui avait porté ses fruits antérieurement, Podemos s’allie avec Izquierda Unida16 et forme la coalition Unidos Podemos (Unis, nous pouvons), espérant unir leurs électeurs, être propulsée deuxième force politique du pays, devancer le PSOE en réalisant le Sorpasso, que tous les sondages prédisaient.
Péchant peut-être par orgueil ou trop assuré du Sorpasso, Pablo Iglesias n’adoucit pas son discours afin de tenter de rassurer un électorat quelque peu dérouté par ses volte-face et ses polémiques. Au contraire, fidèle à son insolence, Podemos publie un programme de campagne sous forme d’un démagogique catalogue IKEA, redouble ses attaques envers une presse qu’il accuse de conspirer contre lui, et s’allie avec IU. Les résultats génèrent une déception lisible sur les visages fermés des membres du parti le 26-J au soir. « Nous ne sommes pas satisfaits des résultats, nous espérions autre chose », a reconnu Pablo Iglesias. Podemos et ses alliés d’IU ne recueillent que 21,1 % des suffrages (71 députés), contre 24,3 % en décembre 2015 (69 députés), perdent plus d’un million d’électeurs. Grâce au système électoral espagnol17, l’hémorragie est contenue en termes de sièges. Mais les conséquences sont sans appel. Podemos ne pourra pas gouverner.
À qui, à quoi imputer cette contre-performance ? Après ce sévère revers, certains cadres du parti pointent un doigt accusateur contre la presse nationale, qui aurait mené une campagne de dénigrement contre le parti en liant trop souvent ses leaders au Venezuela, faisant la part belle à l’opposition vénézuélienne qui mettait en garde l’Espagne contre le populisme de Podemos. Cet argument aux accents bolivariens ne manque pas de rappeler que c’est précisément le seul parti à ne pas avoir signé le manifeste pour l’appel à la démocratie dans le pays de Nicolas Maduro… D’autres ciblent un « effet Brexit », deux jours après le référendum au Royaume-Uni. Selon eux, les Espagnols auraient craint qu’avec Podemos au pouvoir, un référendum en Catalogne eût été dévastateur. Carolina Bescansa, après une analyse fine des votes, arrive à la conclusion que l’Espagne a un électorat trop âgé et que « si seuls les moins de 45 ans votaient, Podemos serait au pouvoir ».
Cependant, des voix proches de Íñigo Errejón remettent en cause l’abandon de l’axe de la centralité au profit d’un radicalisme fortement marqué avec l’alliance avec IU.

Un parti en crise

Après des semaines de tractations en coulisse et le spectre de troisièmes élections générales, il aura fallu l’implosion du PSOE et la démission forcée de son ex-secrétaire général Pedro Sánchez – avec qui Pablo Iglesias aurait négocié en catimini pour gouverner, réellement cette fois – pour que l’Espagne finisse par pouvoir constituer un gouvernement (PP) disposant d’une majorité relative dont le président (Mariano Rajoy) a été investi grâce à l’abstention du parti socialiste. Le PSOE en proie à une guerre fratricide, la place de Podemos est naturellement celle de devenir le parti de l’opposition par excellence. Pour ce faire, en octobre, Podemos relègue son slogan des premières heures et lui substitue « Crear, Luchar, Poder Popular18 », reprenant la phrase de l’Unité Populaire de Salvador Allende au Chili, et marquant définitivement son ancrage dans une gauche radicale.
Loin d’abandonner sa propension aux coups d’éclat ou aux polémiques19 lors des séances, c’est de nouveau dans cet esprit que la séance d’investiture s’est déroulée. Nonobstant, c’est un Podemos divisé qui siège désormais au Parlement.
Après une campagne interne en vue du congrès Vistalegre II, les 11 et 12 février derniers marquèrent des divergences difficilement surmontables. Pros-Iglesias et pros-Errejón se disputent un avenir plus radical ou plus central, une organisation plus verticale ou plus participative. La bataille d’idées – puis plus personnelle – entre les deux ténors du parti, les appuis des élus à l’un ou l’autre, les prises de position tranchantes, une dispute en plein Parlement filmée par les caméras de TV laissent difficilement entrapercevoir une continuité du binôme de départ. À l’issue du vote, la militance a décidé de confier l’avenir du parti violet à Pablo Iglesias en le confortant dans son rôle de leader incontestable, et en lui octroyant une majorité qui lui laisse désormais les coudées franches pour réorganiser et radicaliser Podemos. Certains médias ont dès le lendemain célébré cette victoire comme l’avènement d’un « parti communiste 2.0 ».
L’avenir s’annonce donc plus que nuageux pour l’ex numéro 2, Pablo Iglesias ayant clairement établi qu’il ne pourrait continuer avec son acolyte des premières heures et qu’il souhaitait avant tout « féminiser » la direction. Toutefois, loin de s’avouer vaincu et fort des soutiens reçus lors de la campagne interne, Íñigo Errejón laisse planer le doute. Son courant acceptera-t-il de se soumettre 

Article réalisé par Christine Pires, professeur au lycée Voltaire-La Source, à Orléans

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